Conférence : L'esprit d'équipe

Invité à la plénière  d’ouverture  de  l’Université  d’été  du  Medef  2013, le général de Saint-Chamas parle de "l'esprit d'équipe", version Légion étrangère.

 

Publié le 28/08/2013 à 10:45 | COMLE

 

La Légion étrangère est une partie de l’Armée française. Je ne vais pas vous parler de l’entreprise, que vous connaissez. Je vais vous parler de cet exemple-là.

Quel est le rôle du soldat ?

Aujourd’hui, cela prend tout son sens. Le rôle du soldat est d’être prêt, à toute heure, à défendre le pays et à en défendre les intérêts par une présence, en utilisant ses armes et, si nécessaire, au péril de sa vie. Il doit donc bien sûr être prêt, techniquement et mentalement. Demain, si l’on me dit d’y aller, suis-je prêt à y laisser ma peau ? Il y a donc là une notion majeure pour l’Armée française. Dans l’Armée de Terre, pour arriver à être prêt, mentalement, le carburant est l’esprit de corps. Par conséquent, nous arrivons à souder les gens, pour aller mener des opérations. Le chef a besoin de souder des gens autour de lui dans les opérations extérieures, puisque l’Armée de Terre représente 80 % des soldats qui sont à l’extérieur, depuis de nombreuses années.

L’esprit de corps, nous en parlons. De quoi s’agit-il ? Est-ce un but ? Nous parlions du 14 juillet, où nous voyons tout le monde aligné à la perfection. On a l’impression que ce sont des lapins mécaniques. Est-ce cela, l’esprit de corps ? Est-ce autre chose ? Ne serait ce pas plutôt le moteur de la construction d’une unité, qui permet d’obtenir des résultats et de les améliorer ? Cet esprit se développe au rythme imposé par les chefs, chacun à leur niveau, dans la vie courante, à l’instruction, partout en opérations et dans le commandement. Je voudrais prendre un exemple. Vous l’avez deviné, c’est celui de la Légion étrangère.

C’est une entité très particulière. On ne peut pas transposer ce qui se fait là dans tous les modèles. Elle est connue et reconnue dans le monde entier. C’est à la fois un mythe et une réalité. C’est une exception juridique française qui fait que la France a décidé d’autoriser les étrangers à porter les armes dès le temps de paix. Si vous avez compris cela, vous avez compris ce qu’est la Légion. C’est un statut juridique qui autorise des gens à porter les armes pour vous défendre. Le point de départ, c’est ce statut. De qui parle-ton ? Qui est le légionnaire ? Je vais commencer à employer les mêmes mots que la tribune. Diversité : 150 nationalités différentes se présentent à la Légion étrangère (Roumains, Polonais, Ukrainiens, Malgaches, Brésiliens, Russes, Hongrois, Chinois, Népalais, etc., jusqu’à 150 nationalités). Si vous regardez les crises, vous verrez qu’ils arrivent peu de temps après.

C’est une diversité de langues, de cultures, d’ethnies, de religions, d’antécédents, d’éducation, de motivations et de fragilités. Ils ont un point commun : leur démarche. Ils veulent sortir d’une ornière et redémarrer. Leur point-clé, c’est d’être volontaires. Pour venir à vélo d’Oulan-Bator, il faut être volontaire ! Ils sont volontaires et prêts à tout donner pour rester à la Légion étrangère. Ils sont volontaires et sélectionnés, puisqu’environ seulement un sur dix est retenu. Le point

clé est donc leur détermination.

Quels sont les recettes et les principes de la Légion étrangère ?

Il y a donc un renoncement individuel, pour l’équipe, pour la communauté. Chacun peut véritablement saisir sa deuxième chance. L’avancement se fait au mérite, et tout le monde est sur la même ligne de départ, sans ardoise avec son passé. C’est cette culture de l’égalité des chances et de l’avancement au mérite.

En se présentant à la Légion étrangère, le candidat a souvent eu une situation antérieure délicate. Il vient pour des raisons très personnelles et il reste, parce qu’il y trouve une famille. Plus il se sent accueilli, plus il devient volontaire et plus il est prêt à donner. Il y a bien une double relation : il reçoit et on lui donne. C’est ainsi que se crée la confiance. En effet, le légionnaire est venu chercher la confiance qu’il a peut-être perdue auparavant. Le point de départ de la Légion étrangère, c’est bien la confiance. En termes militaires, on appelle également cela la fidélité. Sur le drapeau français, il est marqué :

« Honneur et Patrie ». Sur le drapeau de la Légion étrangère, il est marqué : « Honneur et Fidélité », parce que la fidélité est un devoir. Lorsque l’on est étranger, en faire un pays par fidélité.

Une autre caractéristique de la Légion étrangère est qu’ils ne parlent pas français, à l’arrivée. Cependant, il y a une chose qu’ils savent tous très bien faire, c’est juger. Quelle que soit la culture, ils savent juger celui qui les commande. Ils voient tout et ils jugent. Pour les commander, il est donc indispensable d’être naturel et limpide. Il faut donc avoir un comportement exemplaire. On parle souvent de discours exemplaire, mais le plus difficile est d’avoir la cohérence entre le discours et le comportement. Il faut également être prêt à reconnaître ses erreurs, parce que je ne suis pas parfait – et je crois qu’il y en a d’autres –, et lorsque l’on arrive à tirer les enseignements des erreurs, on progresse. Ceci est vrai à la Légion étrangère, et je pense que c’est vrai ailleurs, également. Sans recherche d’exemplarité de la part des chefs, rien ne peut se construire, surtout pas l’esprit de corps.

Le général Patton avait une formule un peu crue, puisqu’il disait : « Les hommes, c’est comme les spaghettis. Pour les faire avancer, il ne faut pas les pousser ; il faut les tirer ». Cela a le mérite d’être clair. Pour faire vivre ces étrangers, tous ensemble, il y a quelques principes.

 le français : on apprend le français ; on parle français ; on découvre la France et la culture française. La vie à la Légion étrangère est un cours de français. Il y a une méthode qui est peut-être la seule dans laquelle le premier mot que l’on découvre est le ballet et la serpillière. Au bout de quatre mois, néanmoins, on parle le français ;

 Tout cela se vit. Il y a un esprit commun, qui est l’esprit de Camerone, ainsi qu’une histoire commune. Aujourd’hui, alors qu’il n’y a plus un sou partout, la Légion d’honneur a reconstruit son musée. 2 millions d’euros ont été nécessaires pour construire ce bâtiment sur un terrain militaire. Aujourd’hui, ce bâtiment est quasiment le Louvre du légionnaire.

 C’est un superbe musée, et je vous y invite, quand vous le voulez. Le légionnaire est accueilli, et visite son musée. Lorsqu’il quitte la Légion, il vient voir les pages qu’il y a écrites. Il se raccroche à quelque chose. Sa famille et son histoire, cela devient la Légion. Pourquoi tout cela ? Parce qu’il a besoin de repères. Ces repères, dans la culture, c’est exprimer son appartenance. En effet, lorsqu’il s’engage, il fait un serment, en tant que légionnaire. On lui remet le képi blanc. S’il en a le droit, il a le privilège de défiler le jour du 14 juillet, où il sent, dans l’applaudissement des Français, la reconnaissance de son parcours. C’est l’adhésion à des valeurs d’exigences et de surpassement, dont j’ai parlé. Lorsqu’un ancien légionnaire se présente dans votre entreprise, une seule consigne : vérifiez qu’il s’agit bien d’un ancien légionnaire, parce que c’est un fantasme masculin que de se présenter comme légionnaire. Vérifiez que c’est un ancien légionnaire, et vous pouvez l’embaucher ; vous ne serez pas déçu.

Nous entretenons aussi le culte de la reconnaissance. Et puis, c’est une famille. Par conséquent, il y a des anciens. C’est tellement une famille, que j’ai une tombe de fonction. J’espère que cela vous impressionne. Si je meurs en service, il y a un endroit où je peux être enterré ; c’est un privilège. Il y a donc de la solidarité.

 Que fait-on des anciens ?

Certains rebondissent dans la vie, parfois de façon admirable. D’autres rebondissent un peu moins bien, et certains sont cabossés. Vous connaissez les Invalides, à Paris. Les légionnaires, eux, sont accueillis à l’Institution des Invalides de la Légion étrangère, lorsqu’ils sont cabossés de la vie. Cette institution est financée par la Légion étrangère et par les amis de la Légion, et propose de nombreuses occupations. Par exemple, ils font du vin.

 Comment cela s’appelle-t-il ?

« Esprit de corps ». Vous pourrez en commander pour tous vos séminaires de rentrée. Il y a également un réseau de reconnaissance et d’amis de la Légion. En effet, lorsqu’ils quittent la Légion, il y en a qui retournent au pays. Il y a quelques mois, en Pologne, le Président de la République s’est fait accoster par trois anciens légionnaires en béret vert de cérémonie, et ils ont exprimé leur fierté d’avoir servi la Légion. Ils ont témoigné de la grandeur de la France. En effet, l’une des caractéristiques du légionnaire est qu’il sait que la France est un grand pays.

 

En conclusion, la Légion étrangère n’accueille pas toujours les premiers de la classe, mais elle obtient toujours le prix d’honneur. Elle accueille une richesse humaine exceptionnelle, dans un cadre établi. Il est clair que ce n’est pas le candidat qui fixe la couleur de la cravate ; c’est moi. La Légion l’accueille, le protège de ses défauts antérieurs, le protège de son passé et lui donne. Sa démarche témoigne de l’image et de la grandeur de notre pays.

Enfin, la Légion est une ambassadrice de la France dans le monde, car la fierté du légionnaire demeure, lorsqu’il quitte les rangs de la Légion d’active, et qu’il devient un ancien. La Légion fait de lui un bâtisseur. Partout où il va, il construit. Cependant, c’est un bâtisseur reconstruit.

 La pédagogie de la Légion étrangère pousse à l’extrême le processus de construction de l’esprit de corps, accueillant des hommes en déséquilibre, préoccupés par un rebond individuel. Elle leur offre de les transcender et d’adhérer à un esprit d’équipe, à un esprit de famille et à ses valeurs. Ils sont venus pour eux, et ils restent pour la Légion.

Si je devais conclure, en tant que chef d’entreprise, je dirais qu’il s’agit là d’une entreprise de 7 000 hommes, et ils veulent tous faire encore plus que ce que je leur demande. Ils adhèrent à ce schéma et deviennent prêts à se surpasser, à mourir si nécessaire, pour un pays qui n’est pas le leur. C’est l’abnégation poussée au paroxysme. C’est cela qui leur vaut – je l’espère – l’estime des Français.

 J’ai commencé l’allocution en vous pardonnant à tous, parce que normalement, pour le Boudin, que l’on vous a chanté, à la légion, on se lève. Ce n’était pas grave.

 

Général Christophe de Sait-Chamas
Commandant la Légion étrangère

 

 

 

 

| Ref : 547 | Date : 28-08-2013 | 9742