Quand la Légion s’arrête, alors c’est Noël !

" Il m’a toujours semblé qu’ils acceptaient confusément de mourir pour un certain goût des fêtes de Noël. Le sauvetage de cette saveur-là dans le monde leur semblait justifier le sacrifice de leur vie.” - Saint Exupéry

En cette fin novembre, entre les transits par l’île de La Réunion, encadrant ma visite du Détachement de Légion étrangère de Mayotte, l’aéroport Rolland Garros de Saint-Denis s’est illuminé de guirlandes scintillantes. L’atmosphère entre l’aller et le retour, en cinq jours d’intervalle, en fut complètement transformée. Aussi évocatrices qu’une madeleine de Proust, ces illuminations annonçaient Noël. Chez les képis blancs, un autre signe est encore plus caractéristique de Noël : la Légion s’arrête.

Il n’y a pas d’autres circonstances pour stopper le pas légendaire du légionnaire. Les fêtes de Camerone, ou les fêtes régimentaires ne suspendent pas les activités, mais s’y ajoutent. En revanche, la trêve de Noël, progressive ou réduite à la seule veillée de Noël, est de tradition. Vous verrez immuablement le 24 au soir, les légionnaires poser leurs armes et leurs sacs, se regrouper autour des stades, des bars de Noël, des crèches ou des veillées et ne faire que cela… Les cahiers d’ordres des compagnies se détendent en premier : 7h30 rassemblement et petit déjeuner par section ; 9h00 challenge de volley ; après-midi préparation des bars section. Les légionnaires ont adopté ce temps suspendu de Noël comme un élément vital, et ce, quelles que soient les circonstances, y compris au combat, dans les tranchées, les nomadisations, ou les postes de garde. La fête de Noël semble avoir été faite pour Monsieur Légionnaire, à la fois berger et Roi mage, déraciné et en quête d’espérance. Mieux que quiconque, il éprouve le besoin d’un arrêt de la course du temps. Une fois par an, les vapeurs d’un passé lointain, parfois enfoui, sortiront du sac et se réchaufferont au contact de la joyeuse fête de l’Espérance. La nostalgie d’une enfance, le poids d’une vie laissée derrière ont besoin d’être partagés en famille. Pour se livrer, pour oser parler de soi, pour écouter avec bienveillance les autres, pour recueillir quelques confidences, il faut pour cela du temps, répété, entre soi, une ambiance festive, une hiérarchie estompée.  “N’ayez plus peur, un Sauveur nous est né”, nous dit Noël. La puissance de Noël ne doit pas être oubliée et la Légion faite d’hommes aux cœurs éprouvés ne s’est pas trompée en lui donnant son caractère sacré. La première fête légionnaire, c’est Noël.

En évoquant ses camarades de combat,  Saint-Exupéry écrivait : “il m’a toujours semblé qu’ils acceptaient confusément de mourir pour un certain goût des fêtes de Noël. Le sauvetage de cette saveur-là dans le monde leur semblait justifier le sacrifice de leur vie.”

Chaque année, cet “hors temps”, ce temps non compté, nous est donné, sachons le préparer et le saisir. Quelles que soient nos situations du moment, il n’y a pas de “petit Noël”. Pour cette fête du “repos de corps”, je renouvelle mes directives de ne rien négliger dans la préparation de ce temps sacré, prenez le temps, arrêtez-le et il se démultipliera. 

Un officier témoignait de cette période : “En s’amusant lors de la veillée, en échangeant quelques verres, en plaisantant autour de la table dressée, en assistant aux sketches, en riant ensemble de nos mésaventures, en se moquant avec tact des travers des uns et des autres, en reprenant en chœur nos chants de traditions, c’est un climat de joie simple qui se crée. Cette décontraction, cette sérénité retrouvée, cette ambiance festive permettent de donner du liant à notre vie de communauté et d’oublier les tracasseries du service.”

 

Alors “en Avent” ! Et à tous, joyeux Noël.

 

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Décembre 2022

| Ref : 779 | Date : 06-12-2022 | 3437