LE

L'heure du bilan

Retour
| 23 Août 2011 | 29661 vues
Editorial du COM.LE du Képi blanc N° 735

Àquelques semaines de quitter le commandement de la Légion étrangère, je suis tenté de regarder derrière moi, derrière nous. C’est pourquoi je souhaite vous faire part de quelques réfl exions qui seront les dernières avant de laisser mon poste.

Je voudrais tout d’abord rendre hommage à nos morts des deux ans écoulés :

 

  • en premier lieu aux quatre héros qui ont donné leur vie pour la France en Afghanistan : le chef de bataillon Dupin, le sergent-chef Rygiel, le caporal-chef Chechulin et le caporal Hutnik ;
  • à ceux ensuite qui sont décédés des suites de maladie ou d’accident : le sergent-chef Sysel, les caporaux-chefs, Povilonis, Borodin et Platonenko, le caporal Tomiczek, les légionnaires de 1re classe Balogh et Heintz ;
  • à nos trois camarades enfi n à qui la vie avait apporté trop de diffi cultés : le sergent Renaud, le caporal Svab et le légionnaire de 1re classe Butnaru.


Tous, ils avaient donné leur jeunesse à notre communauté, à la France. Tous, ils avaient servi avec honneur et fi délité sous le fanion vert et rouge de la Légion.

Nous avons vécu une période de restructurations importantes : montée en puissance des bases de défense, transfert de la 13e DBLE aux Émirats arabes unis, création d’une compagnie au 3e REI, dissolution de la CAC du 2e REI… Cette période restera marquée par une réduction signifi cative de nos effectifs : la Légion a contribué sans rechigner à l’immense effort d’adaptation demandé à nos armées. Elle a su le faire sans états d’âme, elle a su montrer son aptitude au changement, elle a su puiser dans sa force collective pour trouver des solutions aux situations nouvelles, elle a su inscrire son action dans une dynamique de changement à laquelle elle a apporté sa contribution.

C’est à la souplesse et à la réactivité de chacun de vous qu’elle le doit. Nous avons également vécu une période diffi cile au cours de laquelle des affaires graves auraient pu ternir notre image de marque. Vous avez fait face avec coeur et cohésion à une exploitation médiatique qui nous a parfois peinés, sans jamais céder à l’amertume. Vous avez mis en oeuvre les évolutions qui s’imposaient pour rectifi er ce qui devait l’être. Vous avez mis en place des dispositions concrètes en matière de contrôle et de rigueur. Vous n’avez pas hésité à vous remettre en cause, individuellement et collectivement. Vous avez démontré que notre style de commandement conservait toute sa pertinence lorsqu’il est mis en oeuvre avec compétence et avec coeur. Nos outils de rayonnement (la musique, Képi blanc, le musée, l’ATHLEG…) sont venus compléter ce travail de fond. L’apaisement de ces derniers mois est votre victoire à tous : vous avez su regagner la confi ance de nos chefs et de nos concitoyens.

Ces deux années auront été marquées par une réfl exion collective sur nos règles de vie et sur les évolutions à apporter à notre savoir être légionnaire. Le Conseil de la Légion étrangère, créé il y a un an, en est la concrétisation majeure. Ses travaux sur l’identité déclarée, sur les passeports, sur les titres de séjours, sur la naturalisation par le sang versé, sur le statut du foyer d’entraide, sur les permissions, sur la patrouille Légion étrangère, sur le suivi des blessés… en sont autant d’illustrations. Il faut remercier nos anciens qui nous ont conseillés et soutenus dans cette démarche proactive : ils exercent à notre profi t un rôle de conscience et de mémoire irremplaçable, dans un esprit de famille auquel nous sommes attachés. J’ai le sentiment que, sans révolutionner le fonctionnement de notre communauté, nous avons ensemble fait en sorte qu’elle soit mieux armée pour affronter l’avenir dans le contexte d’une société moderne en pleine mutation : la Légion reste une institution “à part”, mais qui toujours su ne pas être “marginale”. Il faut qu’elle continue dans cette voie.

Enfin, et bien que cela ne soit pas dans mes attributions, je me réjouis des beaux succès que nos unités ont obtenu en opérations. Nous restons une “force combattante” fi able sur laquelle notre pays sait pouvoir compter. Et c’est après tout le principal, car l’engagement opérationnel est notre raison d’être. Aucune de nos réussites ne vaudrait si un jour nous devions cesser d’être cette troupe reconnue et admirée. C’est un défi de tous les instants : un défi pour le recrutement, un défi pour la formation, un défi pour la préparation opérationnelle, un défi en termes de cohésion, de cohérence et de fraternité d’armes. Notre “socle” a sa part dans ces succès : c’est parce qu’il est solide, effi cace et dévoué que nos légionnaires peuvent ensuite être engagés avec la certitude qu’un “dépôt commun” assure de manière inébranlable les missions courantes.


Cet état des lieux trop rapide m’ancre dans plusieurs certitudes :

  • Le service à titre étranger, dont nous assurons la mise en oeuvre au profi t de notre pays, reste un formidable outil entre les mains du chef des armées sur la scène internationale. Il continue à faire la fi erté de nos compatriotes parce qu’il est porteur des idées les plus généreuses de notre nation.
  • Nous sommes un système d’hommes performant qui sait évoluer sans jamais perdre son âme. Nous le devons à divers “ingrédients” : notre code d’honneur, notre sens de la fraternité d’armes, nos quelques spécifi cités humaines, notre culte de la mission, nos traditions, notre recrutement. Pour dire les choses plus simplement, notre référentiel de valeurs est une force sur laquelle nous pouvons continuer à nous appuyer ; il est un facteur de stabilité et de solidité, sans jamais constituer un frein au changement.
  • Plus largement, notre esprit de corps s’ancre dans ces valeurs partagées. Ce sont elles qui nous permettent de dépasser nos différences ethniques, culturelles, religieuses, nationales… Si notre tradition légionnaire est très forte et très riche, c’est parce qu’elle permet de servir de ciment à notre construction identitaire et à notre cohésion. Et c’est pour cette raison que c’est le mot famille qui traduit le mieux la réalité de notre institution…
  • - Nous sommes d’une certaine manière un modèle d’intégration. Nous démontrons depuis plus de 180 ans qu’on peut devenir Français “de coeur” : Français par le mérite, Français par l’effort, Français par la volonté de s’assimiler, Français “par le sang versé” si les circonstances l’exigent.
  • Notre dispositif de solidarité, dont le foyer d’entraide est le moteur, est une réussite exemplaire ; nous ne mesurons pas toujours suffi samment l’immense chance qu’il constitue pour notre institution. Au-delà des structures et des organisations, sa vocation est de s’assurer qu’un légionnaire, dès lors qu’il a effectué ses premiers pas dans notre collectivité, ne sera jamais abandonné.
  • Nous disposons d’une autre force dont on ne parle pas assez souvent : celle qui consiste à susciter de l’émotion, du rêve, de la fi erté. Cette part d’envie collective, je l’ai ressentie dès mon arrivée dans notre communauté il y a trente ans. Elle est faite tout à la fois de gloire et d’ambition, d’abnégation et de dévouement ; elle est “servitude et grandeur” aurait dit plus sobrement Alfred de Vigny. Elle nous anime tous, du plus jeune légionnaire au général COMLE ; c’est elle qui nous fait faire ensemble de grandes choses.
  • La réalité sociale de notre communauté est belle car elle se fonde sur l’homme, ce légionnaire à la fois attachant, mystérieux et impressionnant. Il est notre seule vraie richesse ; il doit continuer à être au centre de nos attentions.


D’autres combats, d’autres challenges, d’autres évolutions, d’autres remises en question nous attendent ; je suis certain que vous serez à nouveau capables de les porter, de les gérer et de les mettre en oeuvre. Votre volonté, votre enthousiasme, votre disponibilité, votre cohésion et votre détermination seront les garants des succès à venir. Vous inspirez la solidité et la confi ance : c’est un capital précieux qu’il faut préserver.

Au général de Saint Chamas qui va prendre en main les destinées de notre institution, je voudrais dire de faire sienne cette confi ance dans l’avenir qui vous anime. Il va à son tour exercer des responsabilités magnifi ques : je lui souhaite de connaître avec vous toutes les joies que vous m’avez procurées pendant ces deux années passées à votre tête.

Je voudrais pour conclure vous dire l’émotion qui est la mienne au moment où nous allons nous séparer. Dans quelques semaines, j’aurai quitté défi nitivement la Légion d’active et je ne serai plus jamais qu’un ancien. Je resterai viscéralement membre de votre communauté. J’y ai trouvé mes plus belles satisfactions professionnelles. J’y ai reçu bien plus que je ne lui ai apporté, et je continue à me sentir redevable de la vie qu’elle m’a offerte. Ma belle carrière, je la dois à ces hommes, à ces légionnaires, qui ne m’ont jamais déçu et dont l’exemplarité m’a toujours forcé à me dépasser.

Bonne lecture à tous,