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L’immortalité du service de la France (éditorial)

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| 10 Novembre 2021 | 7414 vues

Ce mois-ci, j’ai mesuré “l’aubaine d’être né en ce temps” selon la belle formule de Fabrice Hadjadj. En effet, deux départs apparemment très différents m’ont donné une forme d’héritage commun, inespéré dans une actualité parfois morose.

Il s’agit du départ de deux caporaux-chefs : l’un nommé il y a un peu plus d’un mois, l’autre il y a un peu plus de dix ans ; l’âge de l’un ne suffirait pas à remplir la moitié de la vie de l’autre ; les deux étaient en opération au sein de la 13e DBLE, l’un à Bir Hakeim, l’autre à Tombouctou ; les deux partent épuisés, l’un au bout de ses 101 ans, l’autre marqué dans sa chair par une balle reçue en pleine tête. L’un a fait le grand départ, l’autre est parti à la retraite dans son pays natal. Les deux ont vécu intensément leur attachement au képi blanc, et n’emportent qu’une seule chose : leur service avec “Honneur et Fidélité”.


Le 15 octobre dernier, le Boudin a retenti dans la cour des Invalides, pour le caporal-chef d’honneur Hubert Germain qui par fidélité à ses légionnaires ne souhaitait qu’un honneur de plus, lui qui les avait tous eus : rejoindre ses chers képis blancs. Lors de la remise de son grade honorifique, Hubert Germain nous a légué un témoignage en forme d’héritage. Pris par l’émotion à l’évocation de sa vie de lieutenant de Légion, il ramena dans un mouvement interminable, ses longues et fines mains sur son visage : “pardonnez-moi, c’est trop d’émotions, mes légionnaires, je ne pense qu’à eux aux derniers moments, ceux que j’ai emmenés à la mort. La seule chose que j’emmènerai dans ma tombe c’est ce képi blanc” et puis d’ajouter en forme de pirouette, “j’aimerais tellement que mon père soit là, lui qui devant mes insolences rebelles me prédisait au mieux un avenir de caporal- chef, je voudrais qu’il voie que j’y suis arrivé !” Les linceuls n’ont pas de poches… Hubert Germain n’a emporté dans son cercueil que ce galon et ce képi de caporal-chef : “je peux mourir maintenant”, avait-il confié au major Franck Chemin peu de temps après la remise.


Le 12 octobre, je recevais le caporal-chef Gabriel Sink pour son départ à la retraite. Le COMLE remet effectivement aux légionnaires de plus de 25 ans de services ainsi qu’aux détenteurs de faits de guerre, la médaille du général marquant la reconnaissance tout entière de la Légion étrangère. Sink se présente donc avec un large sourire, dont l’éclat dissimule un côté droit figé. Nous évoquons ses 22 ans de service et bien sûr cette attaque du 14 avril 2018 sur le poste de Tombouctou. Posté sur le mirador, me raconte- t-il, le premier véhicule suicide fait exploser l’entrée principale. Les tirs de mortiers suivent, il voit un légionnaire en difficulté plus bas. Il tire “ en doublette” pour permettre le dégagement de son camarade jusqu’au moment où un effroyable choc le projette en arrière. Une balle vient de le frapper à l’œil droit. La suite, ce sera au milieu du coma, des moments de conscience où le caporal-chef Sink demandera si le poste a résisté. Il ne peut aujourd’hui poursuivre ses services, il a besoin de repos pour calmer ses maux de tête. Il part heureux, me dit-il, de son temps à la Légion : “je pars, mais s’il y a besoin je reviens mon général et s’il le faut je donnerais mon second œil pour la Légion”.


Que dire de plus pour illustrer la portée de notre devise “Honneur et Fidélité” qui anime la Légion étrangère depuis sa création et qui s’affiche fièrement sur nos emblèmes depuis cent ans. Les deux caporaux-chefs avaient un visage marqué par la vie. Les visages d’Hubert et Gabriel étaient lumineux et témoignent de l’immortalité d’un service avec Honneur et Fidélité… ainsi va la Légion.

 

 

Général de brigade Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère